Préparer mon exil
Dernier rendez-vous avec M avant un long moment. Ce matin, j’ai eu envie de la remercier, comme si je n’allais plus jamais la revoir. Finalement, je n’ai rien dit. Je me suis contentée de la regarder, de fixer mon regard dans le sien, de la regarder jusqu’au dernier moment, jusqu’à ce que la porte se referme et nous sépare. Ensuite, je suis partie, j’ai marché quelques mètres, puis je me suis retournée et j’ai fixé le premier étage du bâtiment, là où se trouve son bureau. "A bientôt. Je ferai tout pour que tu sois fière de moi. Et qu’un jour, je sois fière de moi, moi aussi." Ce sont les mots que j’ai prononcé à haute voix, sans que personne n’entende, en pleine rue, juste pour le vent. Elle va beaucoup me manquer.
Il y a tant de choses à faire, à préparer, avant que je ne parte… Je dois faire mes sacs, bien sûr, mais je dois également faire en sorte de ne pas laisser une mauvaise impression à ceux que je vais quitter. Ma mère, mon petit frère, et nos amis du village voisin, sont autant de personnes que je vais voir cette semaine et que je ne dois pas blesser. Je veux pouvoir m’en aller l’esprit tranquille, pas me prendre la tête sur des querelles inutiles. Encore une fois, on croirait que je m’exprime comme si les choses étaient définitives, que je n’allais plus revoir ces gens, que je n’allais plus revoir personne… comme si j’allais mourir et que je le savais. C’est idiot ; je ne vais pas mourir. Enfin, pas vraiment. En un sens, c’est comme si une part de moi allait mourir, et qu’une autre allait naître à la place. J’ignore si ce sera une bonne chose ou non. M a eu l’air enthousiaste, ce matin. Elle me dirait sans doute que ce sera forcément pour un résultat positif, que je vais progresser d’une façon ou d’une autre. Comme je disais, elle va me manquer. Ses conseils aussi. Et son rire. Surtout son rire.
J’ai beau faire la fière, je ne me sens pas du tout apaisée et sûre de moi. J’angoisse à propos d’un rien. Et le pire, c’est cette pensée obsédante, cette idée fixe qui refuse de disparaître de mon esprit : et si jamais cela ne marchait pas ? J’essaye, j’essaye vraiment de me focaliser sur l’espoir… je ne suis pas très douée pour ça, mais j’essaye. Alors pourquoi je continue d’envisager toujours le pire ?
J’ai laissé à M la seule plante que je possède chez moi. Comme je m’en vais pendant plus de deux mois, il fallait bien quelqu’un pour s’en occuper. Je suis contente de savoir que, même si on ne se verra plus, il existe quelque chose qui nous relie, d’une certaine façon. Peut-être qu’un jour, je n’aurais plus besoin d’agir ainsi, de me raccrocher à ce genre de pensées. Peut-être qu’un jour, je pourrais enfin vivre sans avoir besoin de ce genre de personne bienveillante qui me redonne foi en l’humanité, qui m’aide à espérer que la vie peut être meilleure que ce que je crois, et qui me permet de comprendre que je ne suis pas un cas désespéré…